SpaceX a perdu en mer son booster fétiche …
Le booster B1058, détenteur du record du nombre de recyclages avec 19 récupérations, se trouve désormais partiellement au fond de l’océan.
I/ La mission
Le calendrier des vols a été assez mouvementé en cette fin d’année, aussi mouvementé que la météo et plusieurs lancements sont reportés, comme celui de la navette de l’armée, la fameuse X37-B, à partir d’une Falcon Heavy.
Néanmoins, le 23 décembre 2023, une fusée Falcon 9 de SpaceX s’envole pour déposer en orbite la grappe Starlink Groupe 6-32 composée de 23 satellites. Le lancement a lieu depuis le SLC-40 (Cape Canaveral Space Launch Complex 40) de Floride. C’est la 284ème mission pour Falcon 9, la 89ème pour 2023. Le booster est le B1058 qui s’envole pour la 19ème fois après 49 jours de maintenance.
Le lancement est nominal et après 2mn30s de vol, la fusée atteint 8000 Km/h et 60 Km d’altitude. C’est le MECO (Main Engine Cutoff). Le booster se sépare du second étage et commence sa décélération en continuant sur une trajectoire balistique, maintenant sa position grâce à ses thrusters (de petits propulseurs à gaz) et ses Grid Fins (des ailerons aérodynamiques). Arrivé à son apogée, soit à 116 Km d’altitude pour 7067 Km/h, il se dirige alors vers sa barge de récupération qui est ici JRTI (Just Read The Instructions). Sa course l’amène donc naturellement à accélérer, et à une soixantaine de Km d’altitude, son moteur central est rallumé afin de procéder à un premier freinage. Un second allumage vers 1.5 Km d’altitude permet alors au booster de se poser en douceur sur sa barge de récupération, après avoir déplié ses jambes d’atterrissage.
En parallèle, la mission du second étage continue, avec un second allumage du moteur nécessaire à la dépose des satellites sur une orbite presque circulaire de 285 et 293 Km. Après des vérifications d’usage, ce sont les satellites eux-mêmes qui rejoignent leur orbite définitive à 530 Km d’altitude.
II/ Le retour au port
L’étape suivante consiste à ramener le booster au port. On imagine la prouesse de maintenir en équilibre un « cylindre » d’une cinquantaine de mètres de haut sur une barge en plein océan, qui plus est par gros temps ! Les barges de récupération sont des navires autonomes capables de se positionner avec une précision de moins de 3 mètres grâce à de nombreux capteurs et d’énormes moteurs.
Globalement, les barges de récupération mesurent 50 mètres de large par 90 mètres de longueur. Leur nom générique est ASDS pour Autonomous Spaceport Drone Ship, mais SpaceX aime bien donner des noms plus « fun » à ses matériels, et celui-ci a été attribué par Elon Musk après des réparations nécessaires suite à un retour infructueux : « Lisez simplement les instructions ! ».
Les barges de récupération disposent d’un robot de stabilisation appelé Octagrabber (Robot agrippeur). Ce nom vient de la structure-moteur du booster, où les 8 moteurs extérieurs sont autour du moteur central, dont la tuyère est légèrement plus-bas, ce qui lui confère une meilleure latitude de manœuvre lors de la procédure de retour sur Terre. Cette structure-moteur est appelée Octaweb (toile de 8 entités) par SpaceX, d’où le nom Octagrabber pour l’agrippeur de l’Octaweb. Les réservoirs étant alors vides, la majorité du poids se trouve au niveau de cette Octaweb, ramenant le centre de gravité du booster au niveau de l’accroche du robot.
Dès l’atterrissage du booster, le robot sort de sa zone de garage, protégé d’un retour possible du booster en plusieurs morceaux. Il agrippe alors l’Octaweb.
Mais la météo est très mauvaise lors du retour au port, avec une forte houle et des vents violents. Le 26 décembre, SpaceX annonce que le booster s’est renversé sur la barge lors de son trajet vers son port d’attache. Il s’est cassé en 2 morceaux et la partie supérieure est tombée à la mer (voir les images ici).
III/ Le retour d’expérience
Comme à son habitude, SpaceX va utiliser ce retour d’expérience pour que ce problème ne se reproduise jamais. L’entreprise a annoncé que les nouveaux boosters étaient déjà équipés de jambes d’atterrissage améliorées, pouvant s’auto-stabiliser afin d’atténuer les mouvements de la barge. L’Octagrabber est d’ailleurs le fruit du retour d’expérience, car précédemment, il fallait attendre que des équipes spécialisées se rendent sur la barge afin de boulonner le booster sur le platelage. Plusieurs vidéos sur Internet montrent des boosters glissants de bâbord à tribord aux grès des mouvements de la barge.
Ce sera aussi l’occasion d’inspecter en détail l’intérieur du booster pour étudier l’impact de 19 recyclages.
En cette fin 2023, le booster B1058 détient donc le record du plus grand nombre de vols. Il a notamment propulsé la Crew Dragon Demo-2, qui était le premier vol habité avec Douglas Hurley et Robert Behnken, lancé à partir des Etats-Unis, depuis l’arrêt des navettes spatiales. Il a aussi permis d’envoyer plus de 860 satellites dans l’espace. De mai 2020 à décembre 2023, il s’est posé 1 fois à terre, 6 fois sur la barge OCISLY, 5 fois sur la barge ASOG, et 7 fois sur la barge JRTI. Les prochains détenteurs du record à 20 lancements et récupérations réussis pourraient être le B1060 (17 vols au 24 septembre 2023), ou le B1061 (17 vols au 1er décembre 2023), ou le B1062 (17 vols au 28 novembre 2023).
IV/ Pionniers du recyclage
Lorsqu’il y a une vingtaine d’années, SpaceX annonçait sa volonté de recycler les boosters afin de maîtriser les coûts de lancements, l’Europe et les autres agences spatiales en général ne prenaient pas leurs calculs au sérieux. 2 vols ? 3 vols ? Certes, à ce niveau, on peut se poser la question de l’adéquation entre coût de maintenance et coût d’un lanceur. Mais lorsque le lanceur arrive à une vingtaine de vols, et un record de 27 jours de maintenance, on peut se dire … que SpaceX avait raison !
Et aujourd’hui, les agences spatiales travaillent sur ce concept. La Chine vient de procéder à un vol de son prototype qui ressemble étrangement à l’ancêtre de la Falcon. L’Europe n’est pas en reste avec là aussi un prototype réutilisable autour du moteur Prometheus, développé en Normandie.
Mais SpaceX est loin devant …