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Le blog des Amis de la Cité de l'espace

L’Institut spatial brésilien veille sur l’Amazonie

21 Novembre 2023 , Rédigé par Richard Clavaud

L’Institut National de Recherches Spatiales brésilien (INPE) vient d’annoncer une baisse de la déforestation de l’Amazonie de 22,3 % entre août 2022 et juillet 2023 par rapport à la même période des années 2021-2022. Cette déforestation est le fait des coupes rases et des feux liés au développement de l’agro-industrie ainsi qu’aux sécheresses qui favorisent de plus en plus les incendies.
La baisse enregistrée par l’INPE concerne l’Amazonie légale, une zone qui couvre cinq millions de km2 et comprend les neuf états du bassin amazonien soit près de 60% du territoire du Brésil. Avec 9.001 km2 de forêt primitive détruits contre 11.594 km2 précédemment ces résultats sont les plus significatifs depuis 2019. Cette réduction de la déforestation aurait permis d’éviter l’émission de 133 millions de tonnes de CO2, soit 7,5 % du total émis par le pays.

Les enjeux de la déforestation

La protection des forêts tropicales constitue un enjeu majeur pour l’avenir de notre planète sur les plans climatique, environnemental, économique et sociétal. Un domaine où le spatial joue un rôle fondamental, en particulier au Brésil, puissance spatiale avec le lancement en février 2021 d’Amazonia1, le premier satellite de conception intégralement brésilienne. Chargé des activités scientifiques et des applications dans le domaine spatial par le Ministère des Sciences, des Technologies, de l’innovation et des Télécommunications, l’INPE est très engagé dans la protection des forêts et de l’environnement, ce qui a valu à son directeur d’être licencié par le président Jair Bolsonaro en 2021 sous prétexte d’avoir exagéré l’ampleur d’une déforestation qui avait atteint 13.038 km2 entre août 2020 et juillet 2021. Un pic jamais égalé en 15 ans. Depuis le retour au pouvoir du président Lula, le gouvernement brésilien s’est donné pour objectif d’éliminer la déforestation illégale d’ici 2030.

Sous l’œil des satellites

L’exploitation de l’Amazonie au profit de l’agriculture intensive a permis au Brésil de devenir un des leaders mondiaux de l’agroalimentaire (soja, canne à sucre, viande bovine...) avec pour conséquence une déforestation massive.
Le suivi de la déforestation de l’Amazonie a commencé avec le lancement en 1972 du satellite nord-américain Landsat 1 — alors ERTS-1 (Earth Resources Technology Satellite) — à l’origine de l’utilisation de la télédétection spatiale pour le suivi de l’environnement. L’INPE a utilisé ses données de 1973 à 1986. L’INPE a plus tard mis en œuvre les systèmes DETER et PRODES. Lancé dès 2004, DETER (Sistema de Detecção do Desmatamento em Tempo Real na Amazônia, Projet de surveillance de la déforestation en temps réel en Amazonie) est un outil d’alerte pour surveiller et contrôler la déforestation. Il fournit quotidiennement des informations en quasi temps réel pour mesurer le déboisement illégal ce qui facilite les interventions des agences environnementales et des forces de police sur le terrain.

Cette carte de l’INPE recense les feux sur l’ensemble de l’Amérique du sud en août 2022. Les couleurs indiquent le nombre de feux par zones de 25x25 km, du blanc (0) au rouge sombre (15). © Programa Queimadas do INPE

Zones déforestées depuis 2009

Données d’alerte sur la déforestation du système DETER entre les 1er janvier et 30 septembre depuis 2009 (en km2 ). © IMPE/DETER

Sa première version (DETER-A) a utilisé entre 2004 et 2017 des données des instruments MODIS (Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer) des satellites nord-américains Terra et Aqua capables de surveiller des zones supérieures à 25 hectares. Elle a été améliorée en 2015 avec DETER-B, qui utilisait des images du capteur WFI (Wide Field Imager) du satellite Sino-Brésilien de Ressources Terrestres CBERS-4 et du capteur AWiFS, (Advanced Wide Field Sensor) du satellite indien IRS (Indian Remote Sensing Satellite). DETER a commencé à identifier et à cartographier les déboisements et autres changements de la couverture forestière d’une superficie minimale proche de trois hectares.
En 2019 une version améliorée, DETER intense, a intégré des images optiques des capteurs WFI, WPM (Multipectral camera and Panchromatic Wide-Scan) et MUX (Multispectral Camera) du satellite CBERS-4, de Landsat 8, de Sentinel 2 et des images du capteur SAR (Synthetic Aperture Radar) de Sentinel 1, technique qui permet de s’affranchir de l’obstacle des couches nuageuses qui compromettent les autres types d’observations. DETER Intense permet de détecter des surfaces déforestées supérieures à un hectare.

Données "open source"

Les alertes de DETER sont stockées dans une base de données spatiale et envoyées à l’aide du portail TerraBrasilis de l’INPE ou de services web géographiques tels que le Web Map Service (WMS), le Web Coverage Service (WCS) et Web Feature Service-Transaction (WFS-T), accessible en "open source" par l’Open Geospatial Consortium (OGC). PRODES (Projeto de Monitoramento do Desmatamento na Amazônia Legal por Satélite, Projet de surveillance de la déforestation en Amazonie légale par satellite), effectue depuis 1988 le suivi par satellite des coupes rases avec une meilleure précision que DETER.
Ce programme utilise actuellement des images du capteur Operational Land Imager (OLI) du satellite LANDSAT 8 de la NASA et de la Commission géologique des États-Unis (20 à 30 mètres de résolution spatiale, avec un taux de revisite de 16 jours) ainsi que du capteur CCD du satellite CBERS-4/2B.

Données mensuelles pour alertes de déforestation depuis 2010

Données mensuelles pour les alertes de déforestation des systèmes SAD d’Imazon et DETER de l’INPE (en km2 ). Imazon est une ONG brésilienne qui surveille la déforestation de manière indépendante. © INPE/Imazon

PRODES bénéficie également des donnée des satellites européens Sentinel suite à l’accord de coopération signé en 2018 avec le Brésil, le Chili et la Colombie pour l’utilisation de satellites d’observation du programme Copernicus.
Les taux annuels de déforestation mesurés par PRODES sont utilisés par le gouvernement pour établir des politiques publiques et évaluer leur efficacité. Exemples, la certification des modes de productions de l’agro-industrie comme le Moratoire du Soja et l’ajustement des méthodes d’élevage – celui du bétail est la principale activité associée à la déforestation – ou encore les accords intergouvernementaux comme la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP).

Le spatial au service de la biodiversité

Ces systèmes qui utilisent des images satellite avec des résolutions, des délais de revisite et des traitement différents sont complémentaires. Alors que PRODES génère des taux de déforestation annuels, DETER émet des alertes quotidiennes pour préparer les missions d’inspection sur le terrain. Signe de l’efficacité de ces alertes du programme DETER, l’augmentation des amendes et des embargos interdisant la mise en exploitation des zones déforestées illégalement, émis par les autorités grâce à ces données spatiales.
L’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité (ICMBio) qui gère les sites protégés comme les parcs nationaux, a signalé pour cette année une augmentation de 320 % des amendes, totalisant 1.700 sanctions.
Autres mesures prises par le gouvernement, la réinstallation de la Chambre technique pour l’allocation des terres publiques, la reprise du Fonds amazonien et la mise à jour du plan Safra censé favoriser une agriculture à faible émission de carbone. Leurs travaux vont s’appuyer sur les données de l’INPE.
Enjeu politique, la protection de la forêt amazonienne est un enjeu citoyen essentiel pour le Brésil et notamment pour ses peuples indigènes dont les «terres ancestrales» sont convoitées. L’ONG Imazon, (Instituto do Homem e Meio Ambiante da Amazônia), gère par exemple le Système d’Alerte sur le Déboisement (SAD), basé lui aussi sur l’interprétation automatique d’images Landsat et Sentinel. Ses bulletins mensuels analysant l’évolution du déboisement, accompagnés d’une carte à petite échelle, aident à maintenir la vigilance du public entre deux saisons de publication des chiffres de l’INPE.

Mission de l’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité dans la forêt primaire du parc national de Jamanxim dans l’état de Pará. © ICMBio

Incendies, sécheresses et vagues de chaleur

Les bons résultats présentés par l’INPE doivent néanmoins être relativisés du fait de la sécheresse et des incendies qu’elle favorise, menaçant la plus grande forêt tropicale du monde.
«En Amazonie, les incendies sont généralement associés à la déforestation. La forêt humide et bien entretenue ne brûle pas spontanément. Pourtant, malgré la baisse de la déforestation pour le septième mois consécutif, les incendies dans la région continuent de s’étendre. Cette dynamique peut conduire à un scénario de sécheresse sévère la plus dévastatrice pour le biome amazonien depuis 120 ans», estime Mariana Napolitano, directrice de la stratégie au WWF-Brésil.
Le nord et le nord-est du Brésil souffrent déjà d’une grave sécheresse qui a réduit le débit des rivières à des niveaux historiquement bas. Cela devrait s’aggraver au cours des prochains mois en raison de la «forte probabilité» de précipitations inférieures à la moyenne et de températures «supérieures aux valeurs historiques», selon le Centre national de surveillance et d’alerte de catastrophes naturelles brésilien (CEMADEN).
Ce qui entraînerait des changements spectaculaires dans le régime des précipitations sur le continent, provoquerait à terme l’extinction d’un nombre incalculable d’espèces et libérerait d’énormes quantités de carbone dans l’atmosphère.
Cette situation est liée à El Niño, lui aussi suivi par les satellites et l’INPE. Ce phénomène produit par une hausse de la température à la surface de la mer et, par conséquent de l’atmosphère, entraîne un réchauffement planétaire et la multiplication d’événements extrêmes, notamment au Brésil. Depuis plusieurs mois, le pays subit à la fois une sécheresse historique, de fortes pluies accompagnées de cyclones dans le sud et des vagues de chaleur inquiétantes. La température ressentie à Rio a atteint 58,5° le 14 novembre dernier.

Prévision des moyennes d’anomalies de températures calculées par rapport à des modèles pour décembre 2023. © Copernicus /C3S

Coopération internationale

Pour faire face à ces événements extrêmes le CEMADEN utilise les prévisions du système européen Copernicus Climate Change Service (C3S) mis en œuvre pour le compte de la Commission européenne par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF), organisation intergouvernementale indépendante. Une des nombreuses coopérations internationales du spatial européen avec la participation de la Commission Européenne, de l’ESA, de Copernicus, des scientifiques et des industriels, mobilisés au service de la planète, de son environnement et de ses populations.
Notre région est un acteur important de la coopération scientifique dans le domaine spatial entre la France et le Brésil via des agences et laboratoires de recherche (CNES, CESBIO, LEGOS ...). Elle a débuté à Toulouse dès 1967 quand l’Université a apporté son concours à l’INPE (alors CNAE, Comissão Nacional de Atividades Espaciais) pour le lancement d’un ballon-sonde destiné à collecter des données relatives à l’étude des rayons gamma en astrophysique. Et elle va s’enrichir avec l’exploitation des données du satellite SWOT et du futur Biomas qui devrait être lancé en 2024.


Sources : INPE, Ministère des Sciences, des Technologies, de l’innovation et des Télécommunications du Brésil, ICMBio, IMAZON, CEMADEN, WWF-Brésil, C3S.

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