Le vaisseau Starship qui va remplacer la Falcon 9 liquéfie son pas de tir au décollage !
Malgré le succès indéniable de sa fusée Falcon 9, SpaceX prépare la suite, avec la mise au point d’un lanceur révolutionnaire, le Starship, totalement réutilisable. C’est le site de Boca Chica au Texas qui a été choisi comme base de test de ce futur vaisseau interplanétaire. Le concept est basé autour d’un booster, le Super Heavy, et d’un vaisseau, le Starship, qui donne son nom à l’ensemble.
Et SpaceX va vite, très vite : le site de Boca Chica est sélectionné en 2013 et s’étoffe très rapidement de toutes les infrastructures nécessaires. En 2019, le premier prototype, le Starhopper, un simple « bidon » pourvu d’un seul moteur marque le début de l’aventure. L’entreprise fait évoluer en parallèle de nombreux sous-systèmes, les structures, les moteurs, avec une fabrication en masse et de multiples tests 24 heures sur 24. En 4 années seulement, SpaceX passe du test d’un simple bidon flanqué d’un moteur à un véritable vaisseau, en réalisant de multiples essais sous l’œil des caméras du monde entier.
Le booster
Il mesure 70 mètres de haut pour 9 mètres de diamètre, avec une masse au décollage de 3600 tonnes. Il est propulsé par 33 moteurs Raptor alimentés par un mélange de Méthane et d’Oxygène liquides. Pour son nouveau vaisseau, SpaceX est passé du mode Kérolox (Kérozène-Oxygène) au mode Méthalox (Méthane-Oxygène) car ces carburants sont synthétisables sur Mars. Les Grid Fins, ces grilles identiques à celles du booster de la Falcon 9 ne sont ici pas manœuvrables, car l’entreprise a opté pour un allègement en poids des systèmes d’orientation, malgré les contraintes aérodynamiques engendrées. La poussée des 33 moteurs Raptor est d’environ 70 Méga Newtons (39 pour le SLS), soit le double de la mythique Saturn V ! Les moteurs centraux sont manœuvrables de manière hydraulique par le dispositif HPU pour Hydraulique Power Unit. Dans les prochaines versions, la commande ne sera plus hydraulique mais électrique.
Le booster est sensé, à la manière de celui de la Falcon 9, revenir se poser sur sa base de lancement, après avoir largué le Ship dans la haute atmosphère. Cette partie, déjà maîtrisée par les équipes de SpaceX, ne devraient pas poser de problème majeur, mais le choix a été fait de ne pas y adjoindre de pieds d’atterrissage. En effet, pour gagner du poids, donc pour faire des économies de puissance, le booster doit se faire agripper par la tour en fin de parcours. Après une trajectoire de retour très précise, les bras robotisés géants de la tour (les chopsticks) doivent saisir le booster au niveau de ses grilles de manœuvre, les Grid Fins, afin de le reposer sur la table de lancement.
Le vaisseau
Le Ship, c'est-à-dire le vaisseau par lui-même mesure 50 mètres de haut pour 9 mètres de diamètre, sa masse au décollage est de 1200 tonnes. Il est propulsé par 6 moteurs Raptor dont 3 sont optimisés pour le vide. Dans sa version atmosphérique, le vaisseau dispose de tuiles thermiques hexagonales pouvant résister à des températures supérieures à 1300 degrés. Les 2 entités (booster et ship) sont construites en acier inoxydable, donnant un vaisseau complet de 120 mètres de haut pour presque 5000 tonnes au décollage ! Et avec presque 7000 tonnes de poussée, il ne semble pas y avoir de problème de puissance pour propulser rapidement l’ensemble vers l’espace.
Après son largage dans la haute atmosphère, le vaisseau doit mettre en route ses moteurs, effectuer sa mission, traverser l’atmosphère sur le ventre et revenir se poser à la verticale sur sa base. Les bras de la tour peuvent alors saisir le vaisseau, afin de le reposer sur le booster pour une autre mission. Plusieurs variantes sont prévues, et la NASA a opté pour ce système dans le cadre de la mission Artémis. C’est en effet théoriquement la version HLS (Human Landing System) du Starship qui déposera des humains sur le sol lunaire. Ce vaisseau lunaire est sensé se connecter à la future station lunaire (la Gateway) pour récupérer les astronautes arrivant de la Terre à bord du vaisseau Orion et effectuer le trajet Station-Lune-Station. Ce vaisseau lunaire utilisera des moteurs spécifiques pour le posé (les Raptor étant beaucoup trop puissants) et sera dépourvu de tuiles thermiques, car il n’est pas sensé revenir sur Terre. A noter que dans cette nouvelle course à la Lune, la station lunaire Gateway ne sera sûrement pas opérationnelle dans les premiers temps. Un rendez-vous sera alors organisé en orbite lunaire entre Orion et le Starship lunaire pour le transfert d’équipage.
Une autre variante du Starship sera nécessaire afin d’effectuer le plein en carburants en orbite terrestre. D’autres aussi sont prévues, pour la finalisation de la mise en place de la constellation Starlink (Internet par satellites), pour la desserte de l’ISS, et même pour le transport de passagers entre les grandes villes de la planète en un temps record, avec Mars en ligne de mire !
La tour de lancement et sa ferme à ergols
Mechazilla est chargée d’alimenter le vaisseau et le booster en ergols (via deux bras à déconnection rapide, les Quick disconnect ou QD). La tour est aussi équipée de gigantesques bras robotiques, les chopsticks, en forme de pinces qui doivent avant le lancement positionner le Ship sur le booster, puis encercler ce même booster de 200 tonnes lors de son approche (millimétrée !). Ils seront ouverts de 30 degrés pendant un vol stationnaire de 5 secondes, et se refermeront. Pour absorber le choc, un astucieux système de poulies et de contre poids est imaginé, avec un treuil de plateforme de forage d’une capacité de 1245 tonnes ! La ferme à ergols est un vaste ensemble de réservoirs d’Azote, d’Oxygène et de Méthane liquides. Disposés à la verticale pour la plupart, ils ont une double étanchéité, et sont au plus près du lanceur pour minimiser les pertes caloriques.
La table orbitale
Gigantesque tabouret, elle supporte le poids du booster et du vaisseau. Elle dispose entre autres équipements de crochets de maintien de l’ensemble, qui se déconnectent avant le lancement. Il n’y a pas de carneau d’évacuation des gaz, car la configuration du site ne permettait pas de creuser suffisamment profond. Il n’y a pas non plus de déluge d’eau, comme sur les autres sites de lancement, donc aucun matelas liquide pour limiter l’onde sonore et le choc physique lors du décollage. Pour le premier test de lancement, SpaceX a opté pour un béton spécial, le Fondag-RS, sensé résister, selon le fournisseur, à un décollage, mais a priori à un seul. Il est à noter que les tirs statiques effectués précédemment ont sûrement entamé les caractéristiques du matériau. Mais SpaceX n’a pas peur des tests destructifs, et a toujours poussé les matériels aux limites ! Néanmoins, une énorme plaque d’acier refroidie à l’eau est en construction, mais n’est pas prête pour le lancement inaugural.
La FAA
La Federal Aviation Administration est l’agence gouvernementale chargée des réglementations et des contrôles de l’aviation civile aux Etats-Unis. C’est cette agence qui doit autoriser ou non le lancement du Starship, au travers de nombreux documents, dont une étude environnementale, car Boca Chica est construite au beau milieu d’une réserve naturelle. Après de multiples rebondissements, il subsiste un blocage vis-à-vis d’un document émanant du ministère de la faune et de la pêche, document n’ayant pas eu à être édité depuis des décennies ! La mauvaise blague se termine bien, et le grand jour arrive.
Le profil de vol
Pour ce test, il n’est pas prévu de récupérer, ni le booster, ni le vaisseau, car il n’est pas question de risquer la destruction du pas de tir, en testant l’ensemble des manœuvres.
Le grand jour
Devant l’immense enthousiasme des équipes de SpaceX, Musk doit tempérer les choses, c’est incroyable, mais le patron de SpaceX indique que si la réussite du vol est d’arriver dans l’espace, ce n’est pas le but du jour. La réussite du vol est plutôt, et dans un premier temps, de quitter le pas de tir sans tout faire exploser.
Ce jeudi 20 avril 2023, SpaceX effectue le premier tir du vaisseau au complet et nous verrons point par point ce qui n’a pas fonctionné.
Le compte à rebours est nominal mais s’arrête à T-40 secondes pour des contrôles ultimes. Tout le monde pense à un report du lancement, comme quelques jours auparavant. Mais dans la surprise générale, le compte à rebours repart quelques minutes plus tard, directement à T-31 secondes, sous une ovation du personnel de SpaceX. A T-2 secondes, les moteurs rugissent, mais il faut attendre T+7 secondes pour voir le vaisseau s’élever. Ces quelques secondes à presque pleine puissance (70 %), avec de plus 3 moteurs sont arrêtés, détruisent néanmoins une bonne partie des infrastructures au sol. Le béton spécial ne résiste pas, les multiples fissures laissent pénétrer les gaz incandescents qui s’y dilatent et augmentent la taille des fissures, laissant entrer encore plus de gaz. Les fondations de la table orbitale perdent elles-aussi leur intégrité. Des blocs de béton de plusieurs tonnes sont projetés çà et là, vers le booster, au sol, dans l’océan. De plus, on remarque que l’ascension du véhicule n’est pas verticale, mais légèrement en éloignement de la tour. Plusieurs possibilités sont évoquées pour cette trop lente élévation : soit certains moteurs ont été endommagés lors de l’impact initial des gaz sur le béton, soit c’est un problème de fiabilité, une panne, qui a empêché leur démarrage. Mais avec seulement 10 % de poussée en moins (3 moteurs arrêtés sur 33), la marge aurait dû être suffisante pour une élévation normale, donc rapide, car le but est de dégager la tour le plus vite possible. Les crochets de maintien du vaisseau sur la table orbitale se sont-ils tous déconnectés ? Une expertise est nécessaire afin de vérifier leur possible arrachement, même si le commentateur précise que ces crochets ont été ouverts à T-11 minutes. Idem pour les bras d’alimentation en ergols, les Quick Disconnect, se sont-ils rétractés correctement ou ont-ils été arrachés ? Concernant le biais remarqué lors de l’ascension, on peut imaginer des dégâts au niveau de l’HPU, l’unité hydraulique permettant l’orientation des moteurs centraux.
L’ascension continue tout de même, avec des flammes anormales au niveau de la couronne des moteurs. Il semble bien que les jets de béton aient endommagé une grande partie de la structure inférieure du lanceur. A T+27 secondes, une flamme verte indique que c’est l’un des moteurs qui entre en auto-combustion. A T+40 secondes, un autre moteur s’arrête, puis un autre à T+1 minute. A T+1 minute et 17 secondes, ce sont 8 moteurs qui sont arrêtés, mais max-Q est atteint, le point où les contraintes aérodynamiques sur le vaisseau sont maximales. On constate au fur et à mesure de l’ascension que le niveau d’Oxygène liquide baisse beaucoup plus vite que celui de Méthane, ce qui explique le panache blanc qui suit Starship. Le vaisseau passe supersonique, et à 24 Km d’altitude et plus de 1800 Km/h, SpaceX nous gratifie d’une magnifique image de la Terre, prise par une caméra située dans un aileron du vaisseau. La fusée est alors sensée faire une légère rotation pour faciliter le largage du vaisseau, mais elle culbute d’avant en arrière sans pouvoir se stabiliser. Il est probable que ce soit la perte de l’hydraulique d’orientation qui ait amorcé cette rotation sans pouvoir la corriger, et qui ait empêché le largage du vaisseau, l’altitude étant d’ailleurs insuffisante. De fait, avec un balourd de masse non prévu par les calculs, impossible pour le booster de corriger sa position. Mais malgré ces culbutes à près de 2000 Km/h, la fusée ne se désarticule pas, ce qui ne s’est jamais produit lors d’évènements similaires sur d’autres fusées du marché.
A T+4 minutes, l’ordre est donné aux FTS (les Flight Termination System) d’entrer en action, et le booster puis le vaisseau sont détruits, juste en limite de la zone de sécurité au sol. Il semble qu’il était prévu d’utiliser les FTS le plus tard possible afin de récolter le maximum de données, à moins que ce déclenchement tardif soit dû à une lenteur du système, mais ce serait une coïncidence qu’il se soit déclenché juste à la limite de la zone. Au moment de l’entrée en action des FTS, une image nous montre le ventre du vaisseau, où seulement quelques tuiles sont manquantes, mais impossible de faire la moindre prospective pour une future entrée atmosphérique !
Quelques images du vol, issue de la vidéo de SpaceX :
Les équipes de SpaceX sont maintenant à pied d’œuvre pour remettre le site en service, mais les premières images sont catastrophiques ! Des blocs de béton jonchent le sol sur des centaines de mètres, la table de lancement est très endommagée au niveau de ses fondations, la ferme à ergols montre de très nombreux impacts, et une immense quantité de poussière de béton se dépose sur une large zone, la FAA validera-t-elle un prochain lancement comme sans impact sur l’environnement ?
De nombreux points positifs et négatifs ressortent néanmoins de ce lancement historique :
• Le mélange Méthane-Oxygène fonctionne bien.
• L’alliage choisi pour le Starship est solide, car la fusée ne s’est pas désarticulée, ni au MaxQ, ni surtout lors de ses rotations. Il n’y a pas eu non plus de dégâts liés à la remontée de l’onde sonore.
• Les FTS (les Flight Termination System) fonctionnent, mais il faut vérifier la chronologie de déclenchement.
• Il faut fiabiliser les moteurs, sauf si la preuve est faite que ce sont les impacts du béton qui les ont endommagés.
• Un socle en béton, même de type Fondag-RS n’est pas suffisant. Le correctif est néanmoins en cours de construction, avec une plaque d’acier disposant d’une circulation d’eau. L’acier a une bonne conductibilité thermique, a fortiori s’il est refroidi, et si la plaque est suffisamment grande, la dissipation de l’énergie peut être effective. Mais un déflecteur serait nécessaire pour orienter les flammes vers une zone spécifique, et non sur les fondations de la table de lancement. SpaceX a fait le choix d’économiser l’eau, en production mais aussi en traitement avant rejet dans l’environnement, mais sans matelas liquide, l’onde sonore remontant jusqu’au sommet du vaisseau pourrait être critique pour de futurs passagers. Peut-être que SpaceX reverra sa copie et adoptera finalement la solution du déluge d’eau.
• Les tuiles thermiques ont bien résisté à cette première aventure, c’est de bon augure pour la suite, sans crier victoire bien sûr.
• Les unités hydrauliques sont déjà remplacées par des unités électriques sur les prochains prototypes, pour le contrôle d’orientation des moteurs centraux et le largage du vaisseau.
• La ferme à ergols est vraiment trop près du lanceur, et trop exposée en cas d’éjection de débris. Il faudra soit la déplacer, soit coucher et protéger les réservoirs verticaux. A noter que les impacts subis n’ont endommagé que les cylindres de protection des réservoirs, qui disposent de plus d’un mètre d’isolant entre la structure externe et le réservoir lui-même.
• La table de lancement doit être entièrement vérifiée, car même derrière les protections, l’électronique a dû subir de grosses contraintes.
• L’énorme quantité de poussière de béton et tous les débris éjectés jusque dans l’océan pourraient avoir un impact sur la certification que doit donner la FAA avant chaque vol. Mais retarder SpaceX, c’est retarder le retour américain sur la Lune …
• Un point notable, la détermination et l’extrême motivation des équipes.
Sur l’image ci-dessus, extraite d’une vidéo de SpaceX, on peut noter l’immense panache de poussière, les impacts au sol et en mer, ainsi que le biais pris par la fusée au décollage.
Le prochain test de lancement est prévu cette année, avec un délai de 1 à 2 mois annoncé rapidement, mais plutôt de quelques mois après les expertises des matériels. Si ce lancement a lieu en 2023, ce sera un exploit !
Deux phrases en conclusion : Failure is an option et... I will come back !