Mission de sauvetage vers l'ISS !
Revenons quelques mois en arrière pour évoquer cet évènement quelque peu inquiétant …
Fin 2022, 2 vaisseaux habités sont amarrés à l’ISS : Crew 5 avec 4 membres d’équipage (Nicole Mann et Josh Aaron Cassada pour les Etats-Unis, Koichi Wakata pour le Japon et Anna Kikina pour la Russie), et Soyouz MS-22 avec 3 membres d’équipage (Sergueï Prokopiev et Dimitri Peteline pour la Russie et Francisco Rubio pour les Etats-Unis).
Flash Info : Décembre 2022 : Catastrophe au niveau de la Station Spatiale Internationale : 2 cosmonautes russes et 1 astronaute américain sont actuellement coincés sur l’ISS ! Impossible de rejoindre la Terre en toute sécurité en cas d’urgence, il n’y a pas suffisamment de vaisseaux de retour ! Pour la première fois, la règle demandant qu’il y ait au moins autant de sièges de retour que d’astronautes est enfreinte ! Il ne s’agit bien sûr pas d’une négligence, mais d’une avarie rencontrée sur l’un des vaisseaux. Une mission de sauvetage doit partir fin février 2023 …
Alors que le soleil se lève sur Moscou en ce 15 décembre 2022, les cosmonautes russes Sergey Prokopiev, et Dimitri Peteline sont à l’intérieur du module Poïsk de la Station Spatiale Internationale. Ils s’apprêtent à effectuer une sortie extra véhiculaire afin de déplacer un radiateur du module Rassvet vers le module de Laboratoire polyvalent de Nauka. Dans leur haut-parleur, le contrôle de mission leur indique qu’une fuite majeure de liquide de refroidissement a été détectée dans la boucle externe du système de contrôle thermique de leur vaisseau spatial Soyouz MS-22. Quelques minutes plus tard, on leur annonce l’annulation de la sortie extra véhiculaire. Soyouz MS-22 est un vaisseau spatial habité russe dont le lancement a eu lieu le 21 septembre 2022 depuis le cosmodrome de Baïkonour. Ce vaisseau est le seul moyen pour l’équipage de pouvoir rentrer sur Terre et c’est donc la capsule de sauvetage de l’équipage en cas de problème sur l’ISS. La situation est donc extrêmement tendue. L’équipage de MS-22 est composé de 2 cosmonautes de l’Agence Spatiale Russe Roscosmos, le commandant Sergey Prokopiev et l’Ingénieur de vol Dimitri Peteline. Ils sont accompagnés d’un astronaute américain de la NASA, Francisco Rubio. L’équipage original composé de 2 hommes et une femme avait été nommé en mai 2021. Mais à la suite d’un accord entre Roscosmos et la NASA, il avait été décidé que Anna Kikina volerait à bord du Dragon de SpaceX sur la mission Crew-5, et laisserait sa place à bord du Soyouz MS-22 à un astronaute américain.
Les images de la fuite (lien vers la vidéo de la Nasa), impressionnantes, montrent le liquide de refroidissement s’échapper complètement dans l’espace.
Puis quelques heures plus tard, la fuite diminue et se résorbe, le réservoir de liquide de refroidissement étant sans doute vide. A ce moment, les causes de l’incident sont inconnues, et 3 missions attendent donc les ingénieurs : Comprendre pourquoi le vaisseau s’est vidé de son liquide de refroidissement dans l’espace, s’assurer de l’état général du vaisseau, s’assurer de sa capacité à ramener l’équipage sur Terre.
Pour cela, plusieurs tests sont menés par les contrôleurs de vol russes durant la journée du 15 décembre. Le 16, les russes annoncent que tous les systèmes testés sont nominaux : Les propulseurs fonctionnent, le système de contrôle de mouvement et de navigation également. Les températures et l’humidité à l’intérieur du vaisseau Soyouz qui reste amarré au module Rassvet sont toujours dans les limites acceptables. Le 17 décembre, Roscosmos annonce que le vaisseau est stable et qu’il n’y a aucun problème pour le retour en urgence des astronautes sur Terre. Néanmoins, la température du vaisseau reste un élément inquiétant. On demande alors à l’équipage présent dans l’ISS de préparer un élément de ventilation de fortune pour refroidir l’intérieur du vaisseau. La température à l’intérieur des compartiments habitables comprenant le module d’habitation et le module de descente est au-delà des 30 degrés. Mais cela reste conforme aux spécifications. Néanmoins, le module de service, le compartiment des instruments de bord situés à l’arrière du vaisseau, qui contient aussi la propulsion principale et certains moteurs de manœuvre avec leurs réservoirs est au-delà des 40 degrés. Il est urgent d’agir, et les contrôleurs décident d’activer tous les systèmes du vaisseau, ce qui permet le 18 décembre de stabiliser la température aux environs de 30 degrés. Les responsables déclarent qu’il n’y a pas de contamination de l’ISS à la suite de la fuite. Mais à ce stade, les russes ne savent pas encore si le vaisseau est viable pour un vol habité, hors urgence vitale. En parallèle, des investigations pour comprendre ce qu’il s’est passé sont menées.
Plusieurs hypothèses sont alors envisagées. Les spécialistes soupçonnent soit une micro météorite, soit un impact de débris spatial, soit une défaillance matérielle. Et pour en connaitre la cause, il va falloir observer le vaisseau depuis l’extérieur. Immédiatement après l’incident, le bras robotique européen ERA, qui est installé sur le module russe Nauka, est utilisé pour voir la zone d’impact. Mais il ne permet que de faire des vues générales du vaisseau. Les astronautes de la NASA préparent alors du matériel américain pour photographier la zone de fuite grâce au Canadarm 2 de l’ISS. Au cours de la journée du 18 décembre, le bras robotisé canadien récupère son extension DEXTRE et se positionne en extension vers le segment russe pour photographier le vaisseau MS-22. Plusieurs heures plus tard, le responsable de Roscosmos, Iouri Borissov déclare que « le système de régulation thermique du Soyouz MS-22 a un trou d’un diamètre d’environ 0.8 millimètre ». Le 19 décembre, la NASA déclare que « Le Canadarm-2 a observé un petit trou et que la surface du radiateur autour du trou présente une décoloration ». Selon l’Agence Américaine, Roscosmos évalue les images pour déterminer si ce trou peut être dû à l’impact d’une micro météorite, ou s’il s’agit de l’un des trous préfabriqués de ventilation du radiateur.
Le 22 décembre, lors d’une conférence avec des journalistes, le chef des vols spatiaux de Roscosmos, Sergei Krikalev, déclare que le trou externe dans le radiateur mesure environ 4 millimètres de diamètre, tandis que le trou dans le tuyau de refroidissement est inférieur à 1 millimètre. Il est même envisagé que les Géminides (essaim de météoroïdes traversé par la Terre mi-décembre) pourraient être à l’origine de l’impact, piste rapidement abandonnée après étude du trajet de l’ISS à cette période.
Système de refroidissement Soyouz – Schéma d’origine Nicolas Pillet, modifications et commentaires Eric Tronche
Pour information, le système de régulation thermique des Soyouz est composé de 3 boucles imbriquées, mais sans redondance. Une première boucle capte les calories à évacuer par un fluide caloporteur. Celui-ci transmet ses calories à une deuxième boucle par le biais d’un échangeur. En cas de nécessité, cette deuxième boucle est connectée par une vanne à un autre circuit, dont l’exutoire thermique est l’espace. Mais sans système redondant, une avarie à certains endroits peut conduire à une perte totale de la fonction !
Alors, dans ce mode dégradé, le vaisseau peut-il ramener sur Terre sains et saufs l’équipage attitré, et si non, quelles sont les options disponibles ? Pour Roscosmos, les préparatifs du vaisseau Soyouz MS-23 pourraient être accélérés si nécessaire. La NASA contacte alors SpaceX au sujet de sa capacité à renvoyer sur Terre les membres d’équipage supplémentaire à bord de la capsule Crew Dragon en cas d’urgence. En effet, les capsules Crew Dragon étaient conçues au départ pour 7 passagers, mais la NASA a préféré une configuration à 4 passagers et du fret. Néanmoins, il serait intéressant de savoir si une capsule Crew Dragon amarrée à l’ISS reste modulable au niveau des sièges. Mais cette option de retour de 2 équipages dans une seule capsule induirait un abandon de l’ISS, ce qui serait un scénario totalement catastrophique. Finalement, le chef de Roscosmos, Iouri Borissov, déclare qu’il appréciait que la NASA mette sur la table l’option de transporter des cosmonautes russes non planifiés sur un véhicule américain. Dixit Iouri Borissov : « Ils se sont comportés de façon très digne dans cette situation et nous ont tendu la main pour nous aider, mais j’espère que nous allons régler ça par nos propres moyens ». Les 2 agences ont confirmé que les ingénieurs évaluaient encore à cette période s’il serait possible d’utiliser le Soyouz MS-22 avec un système de contrôle thermique endommagé pour le voyage de retour vers la Terre. Les travaux comprennent une analyse thermique de divers scénarii de rentrée et d’atterrissage. Si le vaisseau était jugé inutilisable, il rentrerait et atterrirait sans équipage, tandis que le Soyouz MS-23 serait reconfiguré pour un voyage sans pilote vers l’ISS pour évacuer l’équipage du Soyouz MS-22. Son lancement pourrait être avancé de 2 à 3 semaines par rapport au décollage prévu le 16 mars. Cette mission de sauvetage est alors planifiée au 20 février 2023.
Le 27 décembre 2022, Roscosmos annonce qu’une réunion à l’institut de recherche TsNIIMash a examiné les conclusions de 2 groupes de travail qui ont émis des recommandations. Selon Roscosmos, il est établi que la rupture du système de radiateur a été causé par un dommage mécanique externe. Une commission est créée pour prendre les décisions opérationnelles et organisationnelles sur les actions futures à mener au sol et sur le segment russe.
Le 8 janvier 2023, Roscosmos annonce qu’une décision sera prise le 11 janvier. A ce moment, selon des informations non officielles, il semble déjà acté que le Soyouz MS-22 reviendrait sur Terre sans équipage. En effet, les données indiquent qu’en fonction de la mécanique orbitale exacte, des angles d’éclairage du soleil, de la durée du voyage de retour et du nombre de personnes à bord, la température à l’intérieur des compartiments habitables pourrait atteindre les 40 degrés, et l’humidité pourrait dépasser les spécifications sans un système de contrôle thermique fonctionnel. On craint notamment une défaillance du système de commande de vol informatisé. Même si les spécialistes restent convaincus que le Soyouz MS-22 pourrait effectuer un atterrissage sûr, même s’il est inconfortable, en s’appuyant sur les commandes de vol analogiques qui fournissent un secours au numérique. Sans MS-22, 2 options sont possibles, soit MS-23 décolle à vide, soit il décolle en étant piloté par un seul cosmonaute, Oleg Kononenko. Ses coéquipiers Nikolai Chub et Andrei Fedyaev resteraient au sol pour laisser libres des sièges de retour pour les 2 membres russes de l’équipage de MS-22. Selon ce scénario, l’astronaute de la NASA Francisco Rubio reviendrait sur Terre à bord du véhicule Crew Dragon de SpaceX. La NASA et Roscosmos annoncent que les revêtements du siège de Francisco Rubio seront déplacés vers la zone de fret du vaisseau Crew Dragon pour lui fournir une capacité de retour d’urgence jusqu’à l’arrivée du Soyouz MS-23. Pour maintenir stable le centre de gravité du Soyouz MS-22, le siège vide est remplacé par du fret. Au même moment, Oleg Kononenko suit une formation accélérée pour voler seul sur Soyouz MS-23.
Le 11 janvier 2023, Roscosmos publie une annonce vidéo de Iouri Borissov, indiquant que le plan approuvé prévoit le lancement du Soyouz MS-23 le 20 février en mode entièrement automatisé pour le retour des 3 membres de l’équipage de MS-22. Le vaisseau endommagé atterrira donc vide, car il a été jugé inapte à transporter un équipage. Néanmoins, il pourrait être utilisé en cas de retour d’urgence si l’évacuation de l’ISS était nécessaire. Le chef de Roscosmos annonce : « Le lancement de Soyouz MS-23 avec un pilote solitaire a été évalué mais rejeté en raison du temps nécessaire pour configurer le véhicule pour un tel mode de vol, pour préparer la documentation nécessaire et pour former le pilote, ce qui retarderait le lancement. L’enquête sur la défaillance du radiateur à bord du Soyouz MS-22 a conclu qu’un impact de micro météorite avait causé la brèche. Selon les calculs, le trou a été causé par une particule d’un millimètre frappant le véhicule à une vitesse d’environ 7 000 mètres par seconde soit 25 200 Km/h ». Au cours de la conférence de presse suivante, Sergei Krikalev déclare que « l’équipage du Soyouz MS-22 resterait à bord de la station jusqu’au moment du retour initialement prévu du vaisseau Soyouz MS-23 en septembre 2023. Ce qui signifie l’extension de la mission de plusieurs mois. En conséquence, tous les équipages Soyouz suivants seront décalés vers les prochains véhicules Soyouz programmés ».
Le Soyouz MS-22 doit donc se désamarrer de l’ISS et atterrir une semaine ou deux après l’arrivée du Soyouz MS-23. Ce laps de temps doit permettre à l’équipage de réaliser le transfert des revêtements de sièges et des effets personnels. Seul le fret et les expériences non sensibles aux élévations de températures seront intégrées au Soyouz MS-22. Le 11 février, une autre fuite est détectée, mais cette fois-ci, sur le cargo russe de ravitaillement, le Progress MS-21, qui s’était amarré à l’ISS en octobre 2022. Cette fuite est là aussi localisée au niveau du système de refroidissement. Ce sont donc 2 vaisseaux russes connectés à l’ISS qui présentent des fuites, et qui auraient été percutés par des micro météorites à quelques semaines d’intervalle, et à 2 endroits bien distincts de la station. L’agence spatiale russe prend alors le temps nécessaire pour examiner tous les détails, y compris sur le vaisseau de secours MS-23, dont le lancement est décalé de 4 jours. Aucun dommage n’est décelé sur le MS-23, la mission est donc programmée. En parallèle, le cargo Progress MS-21 est désorbité le 18 février, et il se désintègre comme prévu dans la haute atmosphère.
Soyouz MS-23 décolle de Baïkonour le 24 février 2023, comme prévu, sans équipage, mais chargé en fret (429 Kg) pour le ravitaillement de l’ISS. Largué à 200 Km d’altitude, le vaisseau utilise ses propulseurs pour rejoindre l’ISS située à 420 Km, ce voyage durant environ 2 jours. De nombreuses voix se sont élevées pour que l’équipage du MS-22 rentre immédiatement avec le MS-23, mais cette option n’est pas retenue. Finalement, le MS-22 rentre « à vide » le 28 mars 2023, avec uniquement des expériences insensibles à une élévation de température, soit 218 Kg de fret au total. Ce scénario n’est pas sans rappeler celui de Soyouz 32, en 1979, dont l’équipage avait dû rentrer à bord d’un autre Soyouz arrivé vide, mais là, il s’agissait d’un problème de moteur. La mission originelle du MS-22 est dont prolongée de plusieurs mois, jusqu’au retour programmé du MS-23, à l’automne 2023. Avec l’arrivée de ce nouveau véhicule, il y a désormais autant de sièges « sécurisés » de retour que de passagers dans l’ISS, et le programme de rotation suit son cours, avec l’arrivée de Crew 6 le 3 mars 2023 puis le départ de Crew 5 le 11.
Ce n’est pas la première fois que des « brèches » provoquent des fuites sur des vaisseaux russes. En 2018, un trou avait provoqué un début de dépressurisation de l’ISS, a priori, ce trou aurait été fait par erreur avant le lancement, le « coupable » l’ayant dissimulé avec un bouchon obturateur, dont l’efficacité n’aurait été que provisoire face aux contraintes du vide spatial ! De nombreux petits incidents amènent à pointer sur une perte de contrôle qualité des équipes au sol, mais la transparence n’est pas de mise, et il est impossible de trancher, malgré les fortes probabilités de négligences ! Saurons-nous un jour ce qu’il s’est exactement passé ? Le poinçonneur qui fait des trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous dans les carlingues sera-t-il identifié ? Y a-t-il un lien avec le tir depuis le sol russe d’un missile ayant détruit un de leurs satellites, et ayant causé un nuage de débris potentiellement dangereux pour l’ISS ?